En décembre 1932, le critique d'art Tériade invite Brassaï à photographier Picasso, son atelier et ses sculptures, pour illustrer le premier numéro de “Minotaure”, une collaboration qui débouche sur une longue et sincère amitié, nourrie par leur admiration mutuelle. Le photographe est fasciné par la personnalité de Picasso, et ce dernier admire son regard sans préjugé. Ce sont deux amis étrangers dans une grande ville : l'un sera pour le 20e siècle l'un de ses grands photographes et l'autre l’immense artiste qui a changé l'histoire de l'art. Ils partagent un extraordinaire don d'observation et une grande curiosité. Tous deux collectionnent des objets étranges, jetés et trouvés par hasard, et partagent un intérêt commun pour l'art primitif, l'art brut, les ossements, la poésie et les graffitis. Ils ont également en commun leur refus de se concentrer sur une seule discipline, leur désir d'explorer d'autres territoires créatifs. Cette relation privilégiée aussi respectueuse que féconde donnera naissance à de splendides œuvres photographiques et des publications majeures telles que "Les sculptures de Picasso" en 1949 ou les "Conversations avec Picasso" en 1964. De ces dernières, Picasso qui se voyait exister en elles en dehors du cadre habituel de ses réalisations, dira : "Si vous voulez me connaître, lisez Brassaï !". De ces photographies, 15 ouvrages illustrant la vie de Picasso par Brassai naquirent. Chacun d’eux fut dédicacé et illustré par des dessins intimes de Picasso dont notre œuvre « Le peintre et son modèle » est un parfait exemple. Picasso avec un geste libre, dessine le 12 octobre 1971 un peintre portant son chapeau et sa palette peignant une femme nue debout. Ce dessin est le témoignage de retrouvailles chaleureuses entre Brassaï et Picasso, ce dernier s'amusant à exhorter à chaque fois Brassaï à reprendre le dessin.


Dans un souvenir Brassai explique d’ailleurs le sujet de notre dessin : « Domaine de Notre Dame de Vie à Mougins : Picasso a 90 ans. Il s’adresse à Brassaï : Je te ferai Rembrandt et son modèle. Veux-tu ? Mais as-tu remarqué ? D’habitude, quand on peint L’Artiste et son modèle ont les serre beaucoup trop près l’un de l’autre. Or, en réalité, il y a beaucoup de distance entre eux. Je dessinerai donc Rembrandt sur la page de gauche, le modèle sur la page droite. Cela donnera beaucoup plus d’air. Il se concentre comme un matador. Le dessin est superbe. Mais une fois terminé, il me dit : « Ce n’est pas fini ! » ; il disparaît sur le balcon, revient avec quelques pétales de fleurs et de feuilles vertes. Et voici qu’il commence à frotter le dessin avec les couleurs de cette palette végétale. Il disparaît encore pour trouver des pétales jaunes afin de nimber d’or la tête de Rembrandt. Les meilleures couleurs que l’on puisse imaginer ! dit-il jouissant de mon étonnement. Garantie naturelle ! Solide Stable ! En quelques instants, le dessin est métamorphosé en une peinture aux délicates tonalités mauves, roses, jaunes, bleues, vertes.