Depuis son enfance, Picasso développe un intérêt pour le cirque ; jeune, il va souvent voir passer les compagnies itinérantes de cirque à Barcelone. En grandissant et en arrivant à Paris, il ne perd pas le goût pour ce spectacle pittoresque ; il se rend régulièrement sur les boulevards de la capitale dont le boulevard Rochechouart, pour admirer les danseurs, acrobates et autres saltimbanques qui nourrissent alors l’imaginaire du jeune peintre. L’image du cirque apparait dès l’année 1901 dans l’œuvre de Picasso. Avec un air mélancolique symbolisant son tourment, sa solitude et sa tristesse, il peint déjà un arlequin inspiré par la perte de son cher ami, Carlos Casagemas. Dès lors, le monde du spectacle ne cessera d’influencer Picasso tout au long de sa carrière. Entre les années 1916 et 1921, il collabore à quatre spectacles de Sergei Diaghilev pour lesquels il réalise décors et costumes : les ballets « Parade » (1917), « Tricorne » (1919), « Pulcinella » (1920), et « Cuadro Flamenco » (1921). Cette expérience introduit le peintre au langage du corps et de la danse en lui inspirant de nouvelles possibilités, qu'il associe à des éléments empruntés, à la commedia dell'arte, à l'art sacré ou encore au folklore espagnol. Picasso est immergé dans un monde de spectacles vivants où les ballets et l’opéra deviennent sa principale source d’inspiration. Les différents personnages peuplant ces spectacles deviennent ainsi les principaux acteurs de ses recherches artistiques. Les figures de l’Arlequin et de Pierrot, issues de la Commedia dell’arte lui permettent de représenter un individu aux multiples facettes et à la personnalité complexe. Le peintre et les deux personnages théâtraux se confondent dans plusieurs de ses œuvres. Ils apparaissent comme son double mélancolique, incarnant ses propres faiblesses et sa propre solitude.

Pierrot au loup est un dessin incarnant parfaitement l’amour de Picasso pour le monde du spectacle et de la comédie. Ici, l’artiste dessine un portrait de Pierrot, zanni ou valet bouffon de la comédie italienne. Avec des traits de lavis, il reproduit parfaitement le personnage traditionnellement vêtu d’un costume volumineux composé d’un habit blanc à boutons noirs et d’un chapeau pointu. Le traitement figuratif du sujet fait écho aux inspirations néoclassiques que connaît Picasso depuis son voyage en Italie en 1917, notamment au Musée archéologique de Naples et à Pompéi. Très important dans sa vie, ce Pierrot se pare ici d’une symbolique encore plus forte. En effet, il fut réalisé pour le critique de danse Valerian Svetlov, témoin de sa femme Olga à leur mariage en juillet 1918. Personnage rêveur et honnête, perdu dans un songe et indifférent au monde extérieur, Pierrot incarne l’amour sincère et profond éprouvé par Picasso pour sa femme Olga, danseuse des Ballets Russe de Serge Diaghilev.